Le quatrième et dernier volume est consacré tout entier à la description de la Tartarie Chinoise, de la Corée, et du Thibet. On n’a guère connu jusqu’ici que les noms de ces vastes pays, comme il est aisé de s’en convaincre, en jetant les yeux sur les cartes de nos plus habiles géographes : on en aura des connaissances particulières, et par les observations géographiques et historiques que je donne de ces différents Etats, et par les huit voyages que le père Gerbillon a fait dans la Tartarie, par ordre ou à la suite de l’Empereur. Ce père marque jour par jour, et dans le plus grand détail, ce qui concerne ces vastes contrées, qui s’étendent depuis la Chine jusqu’à la Tartarie dépendante de la Moscovie. Et je doute que les lecteurs pussent mieux s’en instruire, quand ils feraient eux-mêmes ces longs et pénibles voyages.
Je fais plus, car bien que selon mon projet je ne me sois point engagé à entrer dans cette partie de la Tartarie qui appartient aux Russes, je ne laisse pas de donner la carte et la relation des nouvelles découvertes que le Capitaine Beerings a faites dans son voyage, depuis Tobolsk jusqu’à Kamtschacka, où il fut envoyé par le feu Czar, pour examiner s’il y avait un passage qui donnât entrée dans la partie septentrionale de l’Amérique.
Tout se termine par le catalogue d’une partie des latitudes observées, et des longitudes qui résultent des mesures géométriques, dont les missionnaires se sont servis pour dresser le grand nombre de cartes qu’on donne au Public. C’est sur le méridien de Peking que sont comptées ces longitudes ; et c’est pour ne point s’exposer à tomber dans quelque erreur, qu’on n’a pas voulu les réduire au méridien de Paris. Les latitudes ont été prises et observées avec d’excellents Instruments, et faites avec un grand soin. On n’a point mis dans ce Catalogue toutes celles qu’on a prises, parce qu’on en a pris plusieurs dans des lieux qui n’ont point de nom, ou dans des endroits trop peu remarquables pour être placés dans les cartes.
Comme ces cartes sont une partie considérable et très intéressante de cet ouvrage, on s’attend sans doute que je rende compte des motifs qui portèrent l’Empereur Cang hi1 à faire lever la carte de son Empire, et de la manière dont les missionnaires s’y prirent, pour l’exécution du plus grand ouvrage de géographie, qui se soit encore fait selon les règles de l’art.
Ce grand prince ayant ordonné aux missionnaires de dresser une carte des environs de Peking, jugea par lui-même combien les méthodes européennes sont exactes, et c’est ce qui lui fit naître la pensée de faire tirer de la même manière les cartes de toutes les provinces de son Empire, et de la Tartarie, qui lui est maintenant soumise. En chargeant les missionnaires de ce travail, il s’expliqua avec eux de la manière la plus obligeante, protestant publiquement qu’il regardait cette grande entreprise comme une affaire très importante au bien de son Empire, et pour laquelle il ne voulait rien épargner.
En effet, les jours suivants il donna ordre aux grands tribunaux de nommer des mandarin pour présider aux mesurages qui seraient nécessaires, afin de donner exactement les noms des lieux importants qu’on devait parcourir, et de faire exécuter ses ordres aux magistrats des villes, en prescrivant à chacun d’eux de venir sur les frontières de leur district avec leurs gens, et les autres secours dont on aurait besoin. C’est ce qui fut exécuté avec une exactitude surprenante ; preuve sensible du grand ordre et de la police admirable qui règne dans un si vaste Empire.
On commença l’ouvrage le 4 juillet de l’année 1708 suivant notre manière de compter, mais selon le calendrier Chinois c’était le 16 de la quatrième lune, de l’année 47 de Cang hi. Le père Bouvet, le père Régis, et le père Jartoux entreprirent cette année-là de déterminer exactement la situation de la fameuse muraille qui sépare la Chine de la Tartarie, laquelle ayant un très grand nombre de points remarquables, par les portes qui donnent entrée dans l’Empire, et par tant de villes de guerre dont elle est comme flanquée, pourrait servir à régler les longitudes des provinces boréales, qu’elle borne du côté du Nord, et par conséquent des autres qui leur sont contiguës.
Le père Bouvet étant tombé malade après deux mois de travail, les pères Régis et Jartoux continuèrent l’ouvrage, et ne revinrent à Peking que le 10 janvier de l’année 1709.
La carte qu’ils y apportèrent, et qui avait plus de quinze pieds2, renfermait non seulement tous les détours de cette muraille, bâtie tantôt sur les pentes et les penchants des montagnes, tantôt dans des vallées assez profondes, selon que le comporte le terrain ; mais encore toutes les gorges des montagnes, et toutes les portes grandes ou petites, au nombre d’environ trois cens, tous les forts et toutes les places militaires, même celles qui étant construites à une certaine distance de la muraille, ne semblent avoir été bâties que pour soutenir les autres et en sont voisines. Elle comprenait enfin la position de tous les lieux voisins, tant en deçà qu’en delà, de même que de l’entrée et de la sortie des rivières tant soit peu considérables.
Cette carte fut reçue fort agréablement de l’Empereur, qui ne doutant plus du succès de l’entreprise, se sentit encore plus porté à ne rien épargner pour y réussir.
Le 8 mai de l’année 1709 le père Régis, le père Jartoux, et le père Fridelli, Allemand, que l’Empereur leur joignit, partirent de Peking pour aller au-delà de la grande muraille, commencer la géographie de la Tartarie orientale : c’est proprement le pays des Mantcheoux qui gouvernent aujourd’hui la Chine. Il y avait de la difficulté, parce que ce pays ayant été comme abandonné depuis tant d’années, il ne paraissait pas possible d’y trouver les secours nécessaires d’hommes, de montures, et de vivres, dont on ne pouvait se passer dans un travail qui devait durer plusieurs mois. Comme rien n’échappait à la prévoyance de l’Empereur, il donna de si bons ordres aux mandarin Mantcheoux, qui gouvernent les villes, dont ces pays abandonnés dépendent, et ses ordres furent exécutés si ponctuellement, que l’ouvrage ne fut jamais retardé.
En allant vers ces quartiers, on détermina les lieux principaux de la province de Leao tong, ou Quan tong car les Chinois lui donnent indifféremment ces deux noms-là : sa partie australe est bornée par la grande muraille qu’on avait mesurée l’année précédente, et qui par là servait à rejoindre les points anciens avec les nouveaux.
Ainsi la carte de cette année devait comprendre la province de Leao tong, l’ancien pays des Mantcheoux, les limites de la Corée du côté du nord, qui en est séparée par le fleuve Toumen oula3, les terres des Tartares nommés Yu pi ta se4, à cause des peaux de poissons dont ils s’habillent ; les habitations des Ke tchin ta se, qui vont jusqu’à l’embouchure du plus grand fleuve de la Tartarie, nommé par les Tartares Saghalien oula, et par les Chinois He long kiang5, et enfin tous les districts des princes Mongous ainsi qu’ils se nomment, et que les Chinois appellent Tsao ta se, qui sont depuis le quarante-cinquième degré de latitude septentrionale, jusqu’au-dessus du quarantième par où l’on devait retourner.
Cet ouvrage fut très agréable à l’Empereur, et il ne pouvait manquer de l’être aux Mantcheoux nés à Peking qui y reconnaissaient leur ancienne patrie, et qui en pouvaient plus apprendre dans un quart d’heure, qu’ils n’en avaient ouï dire à tous les voyageurs.
Ces trois pères furent à peine arrivés à Peking, qu’ils eurent ordre d’en partir pour la province de Pé tche li6, qui est la province de la Cour. Ils la commencèrent le 10 décembre de la même année 1709. et ne la finirent que le 29 juin de l’année suivante. La province est grande, et a un grand nombre de villes, dont la situation ne peut être négligée. Autrement l’on trouverait la distance des unes aux autres, ou plus grande ou plus petite qu’il ne faudrait, ou les aires de vent des lieux déjà placés, ne s’accorderaient plus avec les observations.
La carte de cette province fut d’autant mieux reçue, qu’elle contenait un pays connu. L’Empereur prit la peine de l’examiner lui-même, et voyant qu’elle marquait exactement les lieux par où il avait souvent passé et qu’il avait fait mesurer par les Mantcheoux, dont l’office est de marquer les chemins lorsqu’il va en campagne ; il fit dire aux pères, qu’il répondait de la justesse de cette carte ; et que si les autres cartes, qui étaient à faire, lui ressemblaient, il serait content de leur travail, et que leur ouvrage serait hors d’atteinte de la critique.
Le 22 de juillet de l’année 1710, l’Empereur ordonna aux mêmes pères d’aller vers le fleuve Saghalien oula. Il a fait bâtir sur le bord austral de ce grand fleuve une ville, appelée Saghalien oula hotun7, où sont des Mantcheoux sous un Lieutenant-Général, nommé en leur langue Maireitchain, afin de veiller sur les frontières, parce que Niptchou 8, ville des Moscovites est sur la même rivière, plus à l’ouest à la vérité, mais cependant si voisine, qu’en peu de jours, en suivant le cours de l’eau, ils peuvent entrer dans les terres de l’Empire.
Pour soutenir ce Lieutenant-Général, l’Empereur a encore fait bâtir deux autres villes en allant vers le sud plus avant dans ses terres ; elles ne sont éloignées que de quelques journées les unes des autres, et se joignent par une suite de villages, où sont des chevaux de poste. La plus voisine de Saghalien oula hotun est Merghen9,où il y a aussi un Lieutenant-Général avec des troupes ; la plus éloignée se nomme Tsitcikar10 qui est le siège du Général et du Commandant de tout le pays.
C’est en revenant de Tsitcikar qui est au quarante-septième degré, vingt-quatre minutes, trente secondes, qu’on a eu occasion de mesurer plusieurs degrés de suite du Nord au Sud ; car ce ne sont que plaines à perte de vue, sans maisons, sans arbres, et même sans rivières bien considérables. Les Mongous de ce pays ne boivent ordinairement que de l’eau des puits qu’ils ont creusés en différents quartiers, où ils transportent leurs tentes et leurs troupeaux, suivant la saison, et l’abondance ou la disette des pâturages.
Cette carte fut achevée le 14 décembre. Quoiqu’elle fut assez vuide, elle ne laissa pas de plaire à l’Empereur, qui y voyait les nouveaux établissements qu’il avait faits, et qu’il jugeait si nécessaires à la tranquillité publique.
L’année suivante 1711 les géographes furent partagés en deux bandes, afin d’avancer l’ouvrage. Le père Régis et le père Cardoso, Portugais, nouvellement arrivé, entreprirent la carte de la province de Chan tong contigue à celle de Pe tche li. Le père Jartoux, et le père Fridelli, auxquels on joignit le père Bonjour, Augustin, déjà connu en Europe par son érudition, et qui n’était arrivé que depuis trois mois à la Chine, allèrent ensemble au-delà de la grande Muraille jusqu’à Hami11, ville capitale d’un pays de même nom, et ils mesurèrent presque toutes les terres des Tartares nommés Kalka ta se12. Ils revinrent ensuite par le grand chemin des provinces de Chen si13 et de Chan si14, étant rentrés dans la Chine par la porte de la grande muraille nommée Hai yu koen15 du fort qui la défend, et qui n’est éloigné de Hami que d’environ quatre-vingt-dix lieues, de celles dont vingt font un degré. Ces pères n’arrivèrent à Peking qu’au mois de janvier de l’année 1712.
L’Empereur extrêmement satisfait de cette carte, et de celle de Chan tong achevée un peu auparavant, fit demander aux pères, s’ils ne pourraient point trouver dans les provinces quelques-uns de leurs compagnons, qui fussent capables de travailler à ce même ouvrage. On lui en proposa quatre qu’il agréa. Le père Cardoso alla joindre le père de Tartre, qui demeurait dans la province de Chan si, avec ordre d’en faire la carte, aussi bien que de la province voisine de Chen si. Quand ils eurent fini ces deux cartes, qui avaient chacune dix pieds en carré, ils retournèrent à Peking.
Le Mandarin qui présenta ces cartes à l’Empereur, lui dit, que si Sa Majesté souhaitait quelques éclaircissements, le père de Tartre pourrait les lui donner, et qu’il attendait ses ordres. L’Empereur le fit entrer, et prenant en main une longue baguette, il lui en fit donner une pareille pour lui montrer divers endroits que Sa Majesté avait remarqué elle même en visitant ces provinces. Ce prince dit alors plusieurs fois Y tien pou tso : il ne se trompe en rien.
Il arriva une chose assez particulière dans cette audience. L’Empereur prétendait que le cours d’une certaine rivière était mal placé dans une autre carte qu’il examinait, et qui avait du rapport aux cartes des provinces de Chan si et de Chen si. Le père de Tartre voyant que l’Empereur se trompait, soutint le sentiment de la vérité, avec la modestie et le respect qui est dû à la majesté des princes, et il le fit d’une manière si claire, que l’Empereur fut obligé d’en convenir ; Tso leao, dit-il, je me suis trompé. Aveu bien remarquable dans un Empereur de la Chine.
Les pères de mailla et Henderer eurent ordre d’aller partager le travail avec le père Régis dans la province de Ho nan, après quoi ils firent ensemble les cartes des provinces de Kiang nan, de Tche kiang et de Fo kien. Les provinces de Kiang si, de Quang tong et de Quang si furent données à faire aux pères de Tartre et Cardoso, et celles de Se tchuen16 et d’Yun nan aux pères Fridelli et Bonjour, qui mourut dans cette dernière province sur les frontières du royaume d’Ava et de Pegou17, le vingt-cinq décembre de l’année mille sept cents quatorze.
Après la mort du Révérend père Bonjour, le 24 de mars de l’année 1715 le père Régis fut envoyé dans la province d’Yun nan pour en achever la carte ; car le père Fridelli y était tombé malade. Quand elle fut finie, il se rejoignit au même père qui avait repris ses forces, et ils dressèrent ensemble la carte des provinces de Koei tcheou et de Hou quang.
Après leur retour à Peking, qui fut le premier de janvier de l’année 1717, il ne resta plus qu’à réunir les cartes des provinces dans une carte générale : ce travail était déjà fort avancé sous la direction du père Jartoux, qui étant retenu à Peking par ses infirmités, présidait à tout l’ouvrage, qu’on offrit enfin à l’Empereur en l’année 1718.
Pour mieux comprendre avec quel détail et avec quelle précision ce grand ouvrage a été conduit jusqu’à sa fin, il suffit d’exposer la méthode qu’on a suivie pour s’en assurer le succès. Le père Régis nous en a rendu compte au nom des missionnaires, qui ont partagé avec lui un travail si long et si difficile. Voici comme il s’en explique.
Je puis assurer, dit-il, qu’on n’a rien oublié pour faire un bon ouvrage : on a parcouru soi-même tous les endroits tant soit peu considérables de toutes les provinces ; on a examiné les cartes et les histoires que chaque ville garde dans ses tribunaux ; on a interrogé les mandarin et leurs officiers, aussi bien que les chefs des peuples dont on a parcouru les terres ; enfin on n’a jamais cessé de se servir de la mesure actuelle, afin d’avoir, à proportion qu’on avançait, des mesures toutes prêtes pour servir aux triangles des points qu’on jugeait dignes d’être remarqués. Car, après avoir bien délibéré, on crut devoir s’attacher à la méthode des triangles : toutes les autres avaient paru trop longues, eu égard aux pays immenses, dont l’Empereur voulait avoir la carte ; et peu praticables par rapport aux villes qui sont fort proches les unes des autres, puisqu’il est certain que la moindre erreur de temps, ou mal marqué par une pendule, ou déterminé peu exactement par l’immersion d’un des satellites de Jupiter, ferait une erreur considérable dans la longitude ; de sorte que si elle est d’une minute, elle donnera quinze minutes de fausse longitude, et quatre ou cinq lieues de distance erronée suivant la différence des parallèles. Ainsi il se pourrait faire absolument que l’observation ne donnât point de distance entre deux villes, qui en auraient une très réelle, quoique petite.
Cet inconvénient de pratique n’est point à craindre dans la méthode des triangles. Comment pourrait-on errer de quatre lieues, dont deux villes seraient éloignées l’une de l’autre, lorsqu’avec une mesure actuelle qui suit toujours, et avec des demi-cercles bien divisés, on prend divers points qui sont entre les deux termes, lesquels se joignant les uns avec les autres, sont comme une chaîne de triangles ? Est-il rien de si difficile que de répondre d’une légère erreur de temps ? Les meilleures pendules se détraquent dans les voyages, et pour les mettre hors d’atteinte d’une erreur, par exemple, d’une minute, il faut réitérer au moins quelques jours les observations ; ce qui produirait dans la pratique des longueurs insupportables.
Les observations des satellites demandent non seulement plus de temps et d’exactitude, mais encore des lunettes égales, et, pour ainsi dire, les mêmes yeux dans l’observateur et dans son correspondant, sans quoi, pour peu qu’ils paraissent à l’un plutôt qu’à l’autre, ils donneront lieu à quelque erreur qui ne sera pas tolérable dans la détermination des petites distances ; car si un satellite étant observé dans un même lieu par un même observateur, ne laisse pas de donner une différence de temps qui fait conclure des longitudes un peu différentes, et oblige à prendre un milieu entr’elles, ce qui suppose que la différence s’évanouit par la grandeur de la distance, cette pratique devient beaucoup moins certaine à l’égard de plusieurs observateurs, dont ni les instruments, ni les manières ne sauraient être les mêmes, de sorte que la différence qui se trouverait entre les observations, jetterait une incertitude sur la position des lieux voisins, qu’on ne pourrait éclaircir que par des dimensions faites selon les règles de la géométrie ; ainsi l’on serait forcé de retomber dans la méthode des triangles.
Cette méthode a aussi cet avantage, quand elle est continuée, qu’elle donne non seulement la longitude, mais encore la latitude des villes qu’on a à placer, qui étant ensuite examinée par les hauteurs méridiennes du soleil ou des étoiles polaires, sert à corriger les opérations précédentes. C’est ce qu’on a fait autant qu’il a été possible, et on n’a trouvé très souvent aucune différence sensible entre l’observation immédiate de la latitude, et la détermination par les triangles. Si l’on a trouvé quelquefois des différences, on n’a pas cru pour cela devoir abandonner cette méthode, puisqu’on n’en trouve pas moins dans les observations astronomiques des hauteurs du pôle faites par les meilleurs astronomes dans un même lieu. C’est qu’en effet, quoique la spéculation sur ce qu’on doit faire soit infaillible, la pratique toutefois dépend de tant de légères circonstances, toutes nécessaires pour parvenir à une exactitude entière, qu’elle ne peut être constamment juste, et doit nécessairement varier entre le plus et le moins. Mais ces petits défauts de justesse se découvrent toujours, et peuvent se corriger souvent par la combinaison qu’on est obligé de faire dans un grand ouvrage, des points déjà fixés par la trigonométrie, avec ceux dont on examine la position.
Un autre moyen qu’on a cru devoir employer pour une plus grande exactitude, a été de revenir à un même point déjà déterminé par différentes voies, et d’y revenir d’assez loin en opérant suivant les règles. Car il est indubitable, que si par le dernier coup d’instrument on trouve encore la même situation, on a une espèce de démonstration sensible de l’exactitude des opérations précédentes. Lorsqu’en mesurant on n’a pu revenir au même point, on a cherché en passant dans le voisinage des villes déjà placées, ou des lieux commodes pour en revoir les tours qui les font remarquer, ou les montagnes qui les commandent ; et de temps en temps, on a fait mesurer, pour savoir si la distance que donnait le résultat des opérations, les corrections nécessaires étant faites, convenait avec la mesure actuelle.
Toutes ces précautions et plusieurs autres, dont le détail serait ennuyeux, nous ont paru nécessaires pour faire un ouvrage qui ne fût pas indigne de la confiance d’un prince attentif et éclairé, lequel nous en avait chargé comme d’une chose, qui lui paraissait très importante au bien de son État. Persuadés d’ailleurs du besoin continuel que nous avions de sa protection pour le maintien et le progrès de la religion dans son empire, l’espérance de la mériter nous soutenait au milieu de tant de dangers qu’il nous a fallu courir, et parmi tant de traverses inévitables, quand on a affaire à tant de gens de si différent caractère, et dans une longue suite d’un travail tout à fait pénible.
Pour s’assurer encore plus de la bonté de l’ouvrage, on aurait voulu pouvoir retourner sur les frontières orientales et occidentales, aussi bien qu’à quelques villes du dedans du royaume situées à des distances convenables, pour y examiner les longitudes par les observations immédiates et répétées des éclipses. Mais comme l’ouvrage étant achevé, l’empereur en parut content, on ne jugea pas à propos de s’engager dans un nouveau travail, qui d’ailleurs n’était pas fort nécessaire.
Nous nous sommes donc contentés des observations, soit de la lune, soit des satellites de Jupiter, faites avant nous, par quelques-uns de nos Pères en différentes villes. Nous en avons même abandonné quelques-unes, parce qu’elles ne pouvaient s’accorder exactement avec nos mesures, qu’en supposant quelque légère erreur de temps dans l’observation ; ce qui n’arrive que trop souvent aux plus habiles observateurs. Mais d’ailleurs nous avons observé quelques éclipses de lune arrivées dans les lieux où nous nous trouvions, et la différence qu’elles ont donnée, n’a jamais excédé la quantité dont on sait que la longitude d’un lieu déterminé prise par différentes observations des satellites ou de la lune, a coutume de différer d’elle-même dans ces sortes de variations. Quand nous n’avons pas eu des raisons pour nous attacher à un parti plutôt qu’à l’autre, nous avons pris un milieu pour errer le moins qu’il était possible.
C’est ainsi qu’ayant d’abord employé la méthode des triangles pour les distances qui se trouvent d’une ville à une autre, et l’ayant ensuite comparée avec la méthode des éclipses observées en des lieux fort éloignés de Peking, nous nous flattons d’avoir suivi la voie la plus sûre, et même l’unique qui soit praticable dans le plus grand ouvrage de géographie, qu’on ait jamais fait en suivant les règles de l’art.
Ceux qui ont donné au public des cartes géographiques de notre Europe, ou de quelque royaume particulier, n’ont presque jamais pris la peine d’examiner la situation des lieux par eux-mêmes : ils se sont contentés de recouvrer différentes observations faites comme par hasard par des gens d’un génie et d’une habileté fort inégales ; de ramasser les mesures des grandes routes, qui ne sont presque jamais les mêmes d’une province à une autre ; de se fournir de relations des voyageurs, qui parlent presque toujours des distances sur le bruit commun ; et de ranger tout cela, partie sur quelques-unes de leurs observations, et partie sur des conjectures tirées des remarques des autres.
Aussi ne doit-on pas s’étonner si Ptolomée même, le restaurateur de l’astronomie et de la géographie, a fait des fautes considérables, non seulement en parlant de la Chine, dont la capitale, selon lui, doit être à trois degrés de latitude australe ; mais encore par rapport à l’Afrique, si connue à Alexandrie, et à notre Europe, avec laquelle les Alexandrins avaient un commerce continuel.
Ce n’est pas qu’il n’ait eu soin de ramasser les observations astronomiques de ceux qui l’avaient précédé, puisqu’il les cite, et qu’il les suit jusqu’à soutenir, ce qui passait alors pour un paradoxe, sur l’autorité de Pythéas, célèbre marseillais, que dans l’île de Thulé, où il était arrivé en allant des colonnes d’Hercule du sud au nord, le soleil au solstice d’été se levait peu après qu’il s’était couché.
Ce n’est pas non plus que Ptolomée n’eût entre les mains les itinéraires les plus estimés, tel que celui qu’on attribue à l’empereur Antonin, sous le règne duquel il vivait, et qu’on prétend n’être qu’un abrégé des distances mesurées par ordre du Sénat dans tout l’empire romain, dont la description générale sous le nom du monde entier, achevée sur les Mémoires d’Agrippa, fut enfin placée à Rome du temps d’Auguste, dans un portique magnifique et ouvert à tout le monde. De plus, on ne doute guère qu’il n’eût connaissance des descriptions qu’Alexandre fit faire de ses conquêtes.
Mais après tout, il est très vrai que ces secours ne lui suffisaient pas pour faire une géographie médiocrement exacte du globe entier de la terre, ni même d’une partie considérable de l’Europe ou de l’Asie. Comment démêler dans cet amas d’anciennes observations, celles qui sont exactes d’avec les infidèles ? Ce qui est cependant nécessaire pour la bonté d’une carte ; car une erreur, qui dans l’hypothèse qu’embrasse un astronome, s’évanouit par l’éloignement immense des cieux, devient d’abord sensible dans la carte d’un géographe par le rapport qu’elle a avec les lieux voisins, et connus de tous les voyageurs. Quel moyen avait Ptolomée de savoir au juste la proportion des mesures prises depuis plusieurs siècles sous des gouvernements tout à fait différents, parmi des nations, tantôt polies, tantôt barbares, et enfin déterminées en partie par une simple estime sur des vaisseaux, qui, quoique donnés à d’habiles gens, comme à Polybe, envoyé par Scipion sur les côtes d’Afrique et d’Espagne, comme à Néarque et à Onésicrite, destinés par Alexandre à la recherche du Golfe Persique, ne sauraient diminuer que de peu l’incertitude des distances ainsi observées ?
Quand même il plairait à quelqu’un de supposer que ces dimensions ont été faites sans erreur notable, et prises toutes sur une mesure connue, il resterait encore une difficulté comme insurmontable, à déterminer précisément, combien il faut retrancher de ces routes ainsi mesurées, pour fixer au juste la distance en ligne droite d’une ville à une autre. Que Ptolomée, par exemple, ait su dans un détail encore plus grand, qu’on ne le trouve dans le livre sixième de Pline, les mesures que prirent Diogenete et Beton, employés par Alexandre depuis la mer Caspienne jusqu’à l’océan des Indes : s’il n’est point sorti d’Alexandrie, et s’il n’est pas venu sur les lieux remarquer les détours des chemins, et les divers rhumbs de vent que la situation des terres oblige de faire, il ne lui a pas été possible de marquer exactement, ni la position des villes, ni le passage des rivières, encore moins d’en déterminer le cours entier par ses seuls points, et de conclure la grandeur d’un pays par une ou deux lignes géographiques sans avoir les points mitoyens, qui sont absolument nécessaires pour réunir l’une à l’autre.
Mais comme toutes ces connaissances ne dépendent point de la force du génie, et que ce qu’il aurait fallu faire pour les acquérir, surpasse de beaucoup les forces d’un particulier, Ptolémée n’a point eu d’autre moyen que de s’en rapporter aux mémoires des voyageurs, de combiner leur rapport avec les observations ramassées, et de recourir aux conjectures en une infinité d’endroits ; et si cela n’a pas empêché qu’il n’ait fait un ouvrage utile au public, la description qu’il donna du monde étant très ample, et divisée pour la première fois en degrés de longitude et de latitude, il est toujours vrai que la plus grande partie de son ouvrage n’est point appuyée sur des observations faites à dessein de rectifier la géographie, mais seulement sur les relations des voyageurs d’un génie fort différent, et sur les narrations de quelques historiens, qui n’ont parlé que par occasion des distances, et toujours sur l’estime populaire.
Il n’en est pas de même dans l’ouvrage qu’on donne au public ; tout vaste qu’il est, on n’a pas cru devoir s’en tenir ni aux cartes des gouverneurs chinois, ni aux dimensions faites presque partout, principalement dans la Tartarie, par des Mantcheoux également laborieux et exacts, ni à divers mémoires imprimés. Mais on s’est déterminé à recommencer tout de nouveau, n’usant de ces connaissances que pour se régler dans les routes qu’on avait à prendre, et dans le choix des lieux dignes de remarque, et rapportant tout ce qu’on faisait, non seulement à un même dessein, mais encore à une même mesure employée sans interruption.
Cette mesure avait été déterminée par l’empereur quelques années auparavant : c’est le pied chinois dont on se sert pour les bâtiments et les ouvrages du palais, qui est différent des autres pieds chinois, et de celui même dont il paraît qu’on s’est servi autrefois dans le tribunal des mathématiques. C’est sur ce pied que la grandeur d’un degré, mesuré par le père Thomas, avait déjà été trouvée contenir 200 lis ou stades chinois, dont chacun comprend au juste 180 toises chinoises de dix pieds. Comme donc la vingtième partie d’un degré, suivant les mesures de l’académie, contient 2853 toises de six pieds du Châtelet, elles égalent précisément 1800 toises chinoises, ou dix lis chinois ; et conséquemment un degré de 20 de nos grandes lieues, qu’on appelle aussi lieues marines, comprend 200 lis ou stades chinois du pied, dont nous nous sommes servis dans toute la géographie de cet empire.
Cette proportion fournit un moyen très aisé de réduire nos cartes chinoises aux mesures des cartes de France, puisqu’en prenant 10 lis ou stades chinois pour une de nos grandes lieues de France, la même partie de degré donne dans les unes et dans les autres le même nombre de lieues, tant dans les méridiens, que dans les parallèles ; car quoique ceux-ci soient diminués suivant la méthode ordinaire, ils le sont toutefois suivant la mesure des grands cercles, qu’on a supposé être tous égaux, pour ne pas s’écarter de la doctrine commune des géographes et des géomètres.
On ne peut cependant s’empêcher de remarquer ici que cette doctrine n’est pas tout à fait certaine : puisque l’an 1710 dans le retour de Tçitcikar, où l’on mesura six degrés du nord au sud par ces plaines, dont nous avons parlé, qui sont entre le 47e et le 41e degrés, les pères Régis et Jartoux trouvèrent toujours de la différence d’un degré à l’autre ; quelque soin qu’ils prissent de faire mesurer juste, bien qu’ils examinassent plusieurs fois les cordes divisées en pieds, et qu’ils rectifiassent l’instrument dont ils se servaient pour prendre hauteur, ils trouvèrent une erreur moindre que 30 secondes. Il est vrai que cet instrument n’était que de deux pieds de rayon, et quoiqu’il fût divisé exactement, il paraît avoir donné un nombre moindre que celui qu’on aurait peut-être trouvé par un instrument plus grand de neuf à dix pieds, tel qu’était celui dont M. Picard se servit pour la dimension d’un degré. Il est vrai aussi que les cordes, dont dix faisaient un ly chinois se resserrent et s’élargissent suivant les divers changements de l’air. Mais faisant réflexion que l’instrument étant toujours le même, ne devait donner qu’une même quantité d’erreur ; que le temps était alors sec et sans variation considérable ; qu’on avait soin de mesurer souvent la corde sur une toise faite exprès ; et qu’enfin l’estime de ces défauts insensibles ne pouvait donner la différence de 258 pieds chinois qu’on trouvait en comparant le 47e degré avec les suivants jusqu’au 41e, ces deux Pères furent presque persuadés qu’il y avait quelque inégalité dans les degrés, quoiqu’elle n’ait pas été remarquée par nos géomètres, mais seulement conjecturée par quelques-uns qui ont supposé la terre semblable à un sphéroïde.
Mais c’est cette difficulté même de changer la figure de la terre sans des observations indubitables, et continuées sous divers parallèles, qui nous a déterminés à conserver la même mesure de degrés dans tous les grands cercles et dans toutes les parties des méridiens, nous en tenant à la supposition généralement reçue de la rondeur de la terre sensiblement circulaire, et renvoyant la résolution exacte de ce nouveau problème, à ceux qui auront la commodité et le loisir que nous n’avons pas18.
Dans ces dimensions on n’a pas oublié d’observer les déclinaisons de l’aiguille aimantée, soit dans la Tartarie, soit dans la Chine. Mais puisque les déclinaisons changent en un même lieu dans un certain nombre d’années, nous n’avons pas cru devoir les insérer dans cette géographie. Il suffit qu’elles nous aient servi à déterminer au juste les rhumbs de vents des routes que nous faisions, et à nous faire connaître, par les observations faites sous le même méridien en des lieux, tantôt voisins entr’eux, et tantôt éloignés, que la géographie n’en peut tirer aucun avantage pour les longitudes, ainsi que l’ont espéré plusieurs auteurs de réputation, qui ramassant avec soin dans leur géographie les déclinaisons de boussole dont les pilotes et les voyageurs ont fait mention, n’ont pas pris garde qu’elles pouvaient avoir déjà varié dans le temps qu’ils employaient à former leur système des méridiens magnétiques, dont l’un doit passer par Canton : car nous avons trouvé soit en deçà, soit en delà les déclinaisons si différentes, qu’elles ne peuvent être réduites à aucune des hypothèses, qui ont paru jusqu’ici, encore moins à une règle constante, puisque les déclinaisons que nous avons observées dans ces endroits-là, ne seront plus apparemment les mêmes après une période d’années, à moins qu’on ne veuille supposer que la loi des variations de l’aiguille dans un même lieu, n’est pas faite pour la Tartarie ni pour la Chine. »
Par ce détail on peut juger quelle doit être la justesse et la précision de cet ouvrage, et combien il en a dû coûter d’application et de fatigues aux missionnaires, pour lever avec tant d’exactitude les cartes de toutes les provinces de la Chine et de la Tartarie chinoise, que l’empereur souhaitait avec empressement, et dont l’exécution lui tenait si fort au cœur.
Au regard du Thibet, s’il n’a pas été levé de la même manière par les jésuites, du moins il a été dressé sur divers routiers fort détaillés, et sur les mesures que prirent, dans le Thibet même, des Tartares envoyés exprès par l’empereur, qui avaient connaissance des mathématiques, et qui avaient reçu des missionnaires l’instruction et la direction nécessaires pour y réussir.
La carte particulière de la Corée a été prise d’après celle qui s’est trouvée dans le palais même du roi de ce pays, et, comme on l’explique dans les observations géographiques sur cette carte, elle a été examinée sur les frontières par les missionnaires employés à faire la carte de la Tartarie.
Toutes ces cartes, tant de la Chine et de la Tartarie, que de la Corée et du Thibet, ont été mises non seulement au même point, mais même sous une projection générale, comme si toutes les pièces n’en devaient composer qu’une seule, et effectivement on pourra les rassembler toutes, et n’en faire qu’un seul morceau. Elles ont été présentées au roi telles que les missionnaires les ont dressées eux-mêmes, et me les ont envoyées de la Chine. Sa Majesté qui en connaissait le mérite, les a agréées, et les conserve en dépôt dans sa bibliothèque particulière à Versailles.
Pour rédiger ces cartes, et les mettre en état de passer entre les mains des graveurs, j’ai jeté les yeux sur M. d’Anville, géographe ordinaire du roi : c’est ce qu’il a fait avec cette netteté et cette exacte justesse qu’on lui connaît. Après quoi des cartes particulières, il a dressé les cartes générales, et leur a donné une étendue propre à faire connaître, indépendamment même des cartes particulières, jusqu’où les missionnaires ont porté le détail et la précision dans ce grand ouvrage de géographie. Il n’a entrepris la carte générale de la Tartarie, qu’après avoir pris communication des mémoires particuliers du père Gerbillon, et les avoir combinés avec les cartes ; et même pour remplir le carré de cette carte, il y a fait entrer le Japon tout entier, et quelques terres plus septentrionales qu’il y fait paraître avec des circonstances particulières. Pour ce qui est de la carte du Thibet, il l’a conformé dans la partie qui confine à l’Indostan, aux connaissances positives qu’on peut prendre par ce côté-là.
Enfin dans la carte qui est à la tête de l’ouvrage, et qui comprend toutes les autres en général, outre la vaste étendue de pays dont on vient de parler, on se porte jusques sur la mer Caspienne. Les missionnaires en ont eu quelques connaissances qu’ils n’ont pas été en état de perfectionner : ils ont souhaité néanmoins qu’on en fît usage, après les avoir comparées et jointes aux connaissances qu’on pourrait rassembler d’ailleurs. C’est aussi ce que M. d’Anville a exécuté avec un grand soin, comme on le verra expliqué en détail dans les observations géographiques et historiques sur le Thibet.
Je ne dis rien de l’impression de cet ouvrage, ni des soins qu’on s’est donné pour l’enrichir de tous les ornements dont il était susceptible. On verra assez que rien n’a été épargné pour la beauté du papier, des caractères, et des gravures ; les vignettes, les cartouches des cartes, et les planches en taille-douce, ont été gravées sur les dessins et par la direction de M. Humblot, qui est parfaitement entré dans le goût des peintures faites par les Chinois mêmes, que je lui ai mises entre les mains, et dont une partie m’avait été communiquée par M. du Velaer, qui a demeuré plusieurs années à Canton en qualité de directeur de la compagnie des Indes. Je lui suis également redevable des connaissances très sûres qu’il m’a données de l’île de Hai nan, où il a fait quelque séjour et je me fais un plaisir et un devoir de lui en marquer ici ma reconnaissance.
Quelque attention que j’ai eu à écrire les mots chinois de la manière qu’il faut les prononcer, il est assez difficile qu’il ne se soit glissé quelques fautes dans le cours de l’impression : il sera aisé de les rectifier en consultant ces mêmes mots dans l’explication que j’en donne selon l’ordre alphabétique, à la fin du troisième et du quatrième volume, où ils sont écrits correctement. En cela j’ai eu aussi en vue la commodité des lecteurs, qui, lorsque ces mots reviennent souvent, peuvent avoir oublié l’explication que j’en ai donnée, lorsque je les ai employés pour la première fois. Ils n’auront qu’à consulter le catalogue de ces mots, et ils trouveront en un instant ce qu’ils signifient.
Je n’ai plus qu’un mot à dire pour finir cette préface qui n’est déjà que trop longue ; c’est qu’il ne faut pas s’imaginer que les noms chinois, tout étrangers qu’ils paraissent d’abord, soient aussi difficiles à prononcer en notre langue, que quelques-uns se le sont figuré : leur expérience leur apprendra qu’on se familiarise bien plutôt et plus aisément avec les noms chinois, qu’avec les noms de plusieurs nations d’Europe, et que pour peu qu’on y soit fait, on les prononce avec moins de peine. Ce qui a beaucoup contribué à la difficulté qu’on a eu de prononcer les mots chinois, c’est la façon dont les Portugais les écrivent, et qui a été suivie pendant un temps de plusieurs de nos missionnaires français, quoi- qu’elle soit tout-à-fait différente de la manière dont nous devons les écrire, pour nous conformer à la prononciation des Chinois. La lettre x chez les Portugais, est ce que nous écrivons par les lettres ch ; par exemple , la ville de la Chine que nous écrivons Chan tong, ainsi que prononcent les Chinois, ils l’écrivent Xan tum ; de même la lettre m est chez eux, ce que sont chez nous les lettres ng ; pour écrire Peking, qui est la prononciation Chinoise, ils écrivent Pekim.
On trouvera dans les Cartes les noms de quelques villes, quoiqu’en petit nombre, qui sont terminez par une m à la manière Portugaise. Il faut se ressouvenir qu’ils doivent se prononcer comme s’ils étaient terminez par ng, sans appuyer sur le g, qui ne s’ajoute que pour mettre de la différence entre ces mots-là, et ceux qui finissent par une n seule, lesquels doivent se prononcer, comme si l’ n était presque suivie d’un e muet. Les premiers se prononcent comme nous prononçons sang, rang, etc. et les seconds comme nous prononçons en Latin non, et en français, profane.
Environ 4 mètres 50.↩︎
Rivière Tumen, frontalière entre la Chine, la Russie et la Corée du Nord (au nord de celle-ci).↩︎
鱼皮 yǔ pí: poisson /peau.↩︎
Hei Long Jiang, 黑龙江,litt. Fleuve du Dragon Noir est le nom Chinois du fleuve Amour et désigne aussi la province du même nom.↩︎
Coorespond à peu près à l’actuelle province du Hebei.↩︎
Saghalien Ula hotun (ou hoton), nom Mandchou, est actuellement la ville de Heihe (黑河 (Fleuve Noir), voir page pour la carte) sur la rive du fleuve Heilongjiang (Amour). Sur l’autre rive se trouve la ville russe de Blagovechtchensk.↩︎
Nertchinsk, Russie (voir carte page ). Ces pauvres gens [il s’agit de la Sorbonne] , qui faisaient tant de fracas en 1700 sur le ciel matériel des Chinois, ne savaient pas qu’en 1689 les Chinois, ayant fait la paix avec les Russes à Niptchou, qui est la limite des deux empires, ils érigèrent la même année, le 8 septembre, un monument de marbre sur lequel on grava en langue chinoise et en latin ces paroles mémorables:
Si quelqu’un a jamais la pensée de rallumer le feu de la guerre, nous prions le Seigneur souverain de toutes choses, qui connaît les coeurs, de punir ces perfides, etc.—Voltaire, Dictionnaire philosophique, Du prétendu athéisme de la Chine. Le traité de Nertchinsk a été signé le 6 septembre 1689 (calendrier Julien). Participaient aux négociations les jésuites Jean-François Gerbillon et Thomas Pereira, qui étaient aussi interprètes. Ils ont traduit le traité en russe, mandchou, chinois, mongol et latin.↩︎
Mergen, actuellement Nenjiang 嫩江, préfecture de Heihe, province du Heilongjiang (voir carte, page ).↩︎
Qiqihar, 齐齐哈, ville de la province du Heilongjiang (voir carte page ).↩︎
Hami, 哈密, actuellement dans la provine autonome du Xinjiang, auparavant Khanat de Kumul, vassalisé par la dynastie Qing vers 1696. (voir carte page ).↩︎
Ce sont les Khalkhas, peuple Mongol, majoritaire en Mongolie (extérieure): https://fr.wikipedia.org/wiki/Khalkhas.↩︎
Shaanxi (陕西).↩︎
Shanxi (山西).↩︎
Jiayuguan, 嘉峪关, province du Gansu (voir carte, page )↩︎
Province du Sichuan.↩︎
Les royaumes d’Ava et de Pégou sont d’anciens royaumes birmans.↩︎
Il s’agit bien sur du problème de la forme de la terre, débat déjà engagé à cette époque (entre autres par Cassini), et dont les jésuites semblent donc avoir eu connaissance. La question va perdurer jusqu’à l’expédition de Maupertuis en Laponie (1736–1737).↩︎
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Hami, Xinjiang carte.
Heihe, Heilongjiang Carte.
Jiayuguan, Gansu Carte
Nenjiang, Heilongjiang Carte,
Nertchinsk, Russie Carte
Qiqihar, Heilongjiang Carte